Tandis que je faisais du vélo avec mon fils un soir, je l’encourageais de la voix : « allez, viens à ma hauteur ! »
Pourquoi parler de hauteur quand on est sur du plat ainsi, en vélo ?
Pourquoi parle-t-on de la hauteur d’un son ? Qu’est-ce qui justifie cette comparaison toute pesante, dans un domaine ou la notion de poids n’a rien à faire ?
Parce qu’il ne faut pas s’en raconter : tous ces efforts que fait l’homme pour se dépasser, pour « aller plus haut », sont liés à cette viscérale soif de l’envol qui fait de notre race l’inventeur des anges, des elfes, et des avions de toute sorte. Amélie Nothomb le reprend très bien dans l’un des ses romans, à propos d’une danseuse en devenir, qui apprend à danser – ou plutôt à voler, car là-encore il ne s’agit que d’envol.
De la hauteur d’un son à la hauteur de son ambition, de la hauteur de ses vues à celle de son implication, nous sommes partout, et de tous temps, ces oiseaux déchus que la nature nous a donné le loisir de conceptualiser en regardant plein d’envie les vrais oiseaux se mouvoir dans cet inaccessible éther. Que de mythes, que de légendes et de personnages fantastiques sont nés de notre regard porté bien haut ! Hermes le messager, Icare et ses ailes de cire, la sorcière et son balai magique, les griffons, les chevaux ailés, les dragons, les sirènes, Peter Pan… Pourquoi nos âmes, au dernier partage, ne s’enfonceraient-elles pas profond dans le sol, plutôt que s’envoler vers les cieux, les septièmes et les autres ? Tout cet imaginaire nous aide à supporter cette terrible vérité : nous ne pouvons pas voler. Alors, force de l’humain, c’est le vocabulaire et son usage qui relaient depuis des siècles nos espoirs qu’un jour enfin, le miracle se produise.
En attendant, on grimpe haut, on saute et resaute, on court ou on pédale, on nage, on chante ou fait chanter les voix les plus cristallines, partout on essaie de transposer dans les dimensions qui nous sont accessibles cette verticalité absolue de l’élévation qui nous a été refusée.
Et à défaut, on se contentera parfois de son contraire : la chute, négatif accessible et noir de cette pureté absolue qu’est l’envol. Fermez les yeux, et imaginez-vous donnant cette poussée magique qui vous transporte dans les airs… Quelle belle image, quel beau souvenir à se construire.
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